La digitalisation a ceci de merveilleux qu’elle permet de ressusciter des œuvres oubliées, des voix précieuses endormies sur pellicule. Parmi ces redécouvertes figure désormais un document rare et fondamental : Tradition vivante, un documentaire réalisé en 1976 par Philippe Legrand, aujourd’hui numérisé et intégré au catalogue de l’Université Laval, au Canada.
Ce film de 28 minutes, tourné en noir et blanc sur une bobine 16 mm, réunit trois grandes figures intellectuelles de l’Afrique francophone : Boubou Hama (Niger), Amadou Hampâté Bâ (Côte d’Ivoire) et Louis-Marie Ongoum (Cameroun). Ensemble, ils discutent de la littérature orale africaine, envisagée comme la matrice vivante de la littérature écrite, le socle d’une pensée et d’une esthétique authentiquement africaines.
À travers leurs échanges, Tradition vivante explore la richesse d’une culture plusieurs fois millénaire, la puissance de l’oralité comme véhicule du savoir, et les structures propres à cette expression : sa loi, son esthétisme, sa portée philosophique. Le film s’inscrit dans une réflexion plus large sur la « réafricanisation » des sociétés africaines par leurs propres formes d’expression culturelle — une manière de revendiquer, au lendemain des indépendances, la continuité et la vitalité d’un patrimoine longtemps marginalisé.
Boubou Hama y exprime avec clarté et conviction la nécessité d’une éducation pensée par et pour les Africains :
« Aujourd’hui, on sait que l’éducation occidentale n’est pas adaptée à la vie africaine. Il est question de changer les programmes et de façonner l’éducation africaine à l’image de l’Afrique et pour les besoins de l’Afrique. Même si nous utilisons le français, nous pouvons concevoir l’enseignement à partir de nos propres documents et de nos réalités. »
Près d’un demi-siècle après sa réalisation, ce film trouve une nouvelle vie grâce à un vaste projet de numérisation mené par l’Université Laval. Ce programme vise à préserver et rendre accessibles des œuvres audiovisuelles rares.
Un témoignage d’époque, mais une réflexion toujours actuelle.
Un grand merci à Sonia Léger, bibliothécaire de l’Université Laval.
Tradition vivante
1976