Redécouvrir un géant de la pensée africaine
Intellectuel majeur du XXᵉ siècle, auteur prolifique, figure politique et culturelle, reconnu par ses pairs au niveau international… et pourtant, presque inconnu aujourd’hui. Boubou Hama écrivain, historien et penseur de la tradition orale africaine, incarne ce paradoxe: une œuvre immense, mais une mémoire effacée.
Au cours de sa vie, il a porté deux casquettes. Celle de l’homme politique, dont la carrière s’est interrompue après le coup d’État militaire de 1974. Et celle de l’homme de culture, qui l’a animé toute sa vie: défendre la mémoire, transmettre le savoir, travailler à l’unité africaine. C’est cette dimension qui l’a porté jusqu’au bout.
L’ampleur de l’œuvre
Boubou Hama est d’abord un pionnier: premier instituteur du Niger, il s’est attaché à créer une pédagogie enracinée dans l’histoire locale. Il a publié plus de soixante ouvrages – romans, recueils de poésie, essais historiques et anthropologiques, manuels scolaires – qui témoignent d’une vie entièrement consacrée à la connaissance et à la transmission.
Reconnu comme l’un des grands penseurs africains de son temps, il participe au premier congrès des écrivains et artistes noirs, intervient dans de nombreux colloques de l’UNESCO et dialogue avec des figures telles que Senghor, Césaire ou Cheikh Anta Diop. Défenseur des traditions orales, il insiste sur leur rôle central dans l’histoire du continent et leur place dans l’avenir des sociétés africaines.
Fait exceptionnel pour l’époque, il est aussi l’un des rares intellectuels africains invités sur les plateaux de télévision à travers le monde pour parler de culture africaine: de l’importance de l’oralité à la richesse des traditions, jusqu’aux philosophies animistes. Sa voix portait au-delà des frontières, donnant une visibilité unique à la pensée africaine.
Son engagement intellectuel le conduit aussi à siéger dans divers comités scientifiques et d’intellectuels. Sa reconnaissance est internationale: plusieurs pays lui décernent des médailles du mérite, le musée national du Niger porte son nom, l’un des films qu’il a scénarisé est sélectionné officiellement au célèbre festival du film de Cannes, et ses ouvrages figurent dans les bibliothèques des grandes universités du monde entier, de Harvard à Oxford en passant par l’Australie.
Le parcours de Boubou Hama commence à l’école coloniale avant d’intégrer l’école normale William Ponty sur l’île de Gorée au Sénégal, qui forma une grande partie de l’élite intellectuelle et politique ouest-africaine.
L’effacement
Pourtant, malgré cette ampleur, la mémoire de Boubou Hama s’estompe.
L’effacement est d’abord politique: emprisonné après le coup d’État de 1974 et la chute du gouvernement Diori, il disparaît de la vie publique et ses écrits cessent d’être diffusés. Une génération plus tard, beaucoup d’élèves nigériens ne savent plus qui est Boubou Hama. Ironie du sort, son nom apparaissait dans les épreuves du baccalauréat canadien au début des années 1990, alors qu’il avait quasiment disparu des manuels scolaires du Niger. Les jeunes générations ne connaissent pas son rôle fondateur.
Il y a ensuite un effacement éditorial: la plupart de ses ouvrages sont introuvables dans les bibliothèques et librairies africaines, même si on les retrouve dans des bibliothèques internationales.
Sur le plan académique, des travaux commencent heureusement à réapparaître massivement au Niger grâce aux efforts d’enseignants et chercheurs. Ses textes peuvent ainsi passer entre les mains des nouvelles générations.
Une réhabilitation nécessaire
Si le coup d’État de 1974 a scellé son invisibilisation, une réhabilitation est aujourd’hui nécessaire.
Redonner voix à Boubou Hama, ce n’est pas seulement rendre justice à un écrivain oublié. C’est redonner aux nigériens, et plus largement aux africains, un patrimoine vivant. Son œuvre raconte l’histoire, la mémoire et les traditions du Niger et de l’Afrique de l’Ouest, mais elle porte aussi une dimension universelle. Ses réflexions sur l’oralité, la mémoire et l’histoire résonnent avec les débats actuels sur la culture, la transmission et la décolonisation du savoir.
Réhabiliter Boubou Hama, c’est rééditer, traduire et diffuser ses textes pour qu’ils trouvent leur place dans les bibliothèques, les écoles et les universités dans le monde entier.