Petite histoire du livre et de l’édition au Niger

L’époque pré-coloniale

À l’instar de son voisin le Mali, dont les grandes cités médiévales comme Tombouctou et Djenné abritaient dès le XIIIᵉ siècle des universités de renom et ont été le berceau d’une production littéraire exceptionnelle, le Niger possède lui aussi une culture écrite ancienne et une littérature orale millénaire. Les Manuscrits arabes et ajami en sont le témoignage le plus marquant. Dès la fin des années 1930, Boubou Hama, en réseau avec des informateurs à travers le pays, lança un vaste projet de collecte et de recensement des imprimés anciens, rassemblant près de 4 000 œuvres. Ces manuscrits, en arabe ou en ajami (langues africaines écrites avec l’alphabet arabe), illustrent la richesse intellectuelle du Niger avant la colonisation. Dès le milieu des années 1970, ils furent intégrés au département des Manuscrits Arabes et Ajami de l’Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH) de l’Université Abdou Moumouni de Niamey.

1940–1950 : naissance de la recherche moderne

L’IRSH fut créé en 1944 comme antenne nigérienne de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), devenant la plus ancienne institution de recherche du pays. Il joua un rôle central dans la conservation, l’étude et la valorisation du patrimoine écrit. Bien qu’il ne fût pas un éditeur national, il constitua un moteur intellectuel et documentaire, publiant une partie des premières études sur les sociétés du Niger dans le Bulletin de l’IFAN à Dakar.

1950–1960 : les pionniers de la littérature nigérienne contemporaine

Au début des années 1950, une nouvelle génération d’intellectuels écrivant majoritairement en langue française, valorise la culture nationale en traduisant et fixant à l’écrit la littérature orale (mythes, contes, légendes, proverbes, chansons). Cette rencontre entre oralité et écriture marque un tournant culturel décisif dans la production littéraire du pays.

Boubou Hama incarne ce mouvement en tant que pionnier et père fondateur de la littérature du Niger. Il sera par ailleurs le représentant national au Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956 à la Sorbonne, contribuant au rayonnement international du pays. Deux écrivains nigériens seront primés par le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire : Boubou Hama, récompensé en 1970 pour Kotia Nima, et Idé Oumarou, lauréat en 1978 pour Gros Plan, ouvrant la voie à d’autres auteurs nigériens.

Parmi les autres pionniers, Mahamane Dandobi ou encore Issa Ibrahim, auteur du premier roman nigérien en français, Les Grandes eaux noires (1959), ainsi qu’une génération de poètes et d’essayistes, structurent ce paysage littéraire moderne.

1960–1970 : Fonds du livre et politique publique

Les premiers écrivains nigériens furent publiés par des maisons d’édition françaises comme Présence Africaine, L’Harmattan ou Actes Sud, ainsi que par les Nouvelles Éditions Africaines au Sénégal. Dans le même temps, l’État nigérien lança ses propres publications officielles, portant la mention « Publication de la République du Niger », afin de promouvoir les œuvres jugées importantes pour l’histoire et l’identité nationales.

Parallèlement, Boubou Hama créa au milieu des années 1960 le Fonds du Livre, utilisant ses droits d’auteur pour soutenir la publication d’ouvrages nigériens, financer de nouveaux écrivains et renforcer des infrastructures éditoriales encore balbutiantes. À une époque où peu d’États africains avaient des dispositifs comparables, cette initiative fut exceptionnelle et posa les fondations d’une politique culturelle durable, qui s’étendit également au cinéma et permit l’essor de la création audiovisuelle nigérienne.

En 1968, un accord avec l’UNESCO conduisit à la création du Centre régional de documentation sur la tradition orale (CRDTO), qui deviendra en 1974 le Centre d’études linguistiques et historiques par tradition orale, renforçant encore le rôle du Niger dans la préservation de son patrimoine littéraire, et spécifiquement, la littérature orale.

1970–1990 : structuration de la chaîne du livre

Les années 1970 et 1980 furent marquées par un effort continu de structuration du secteur du livre. Plusieurs institutions virent le jour ou se consolidèrent, cherchant à organiser la création littéraire, la formation, la production éditoriale et la diffusion du livre au Niger.

En 1971 parut Anthologie de la poésie nigérienne, ouvrage fondateur réunissant dix-huit poètes nigériens. En 1973 fut créée l’École des Lettres, future Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni. En 1974 naquit l’Institut national de documentation, de recherche et d’animation pédagogique (INDRAP), chargé de produire manuels scolaires et ressources éducatives, donnant au Niger un outil essentiel pour l’autonomie éditoriale dans le domaine de l’éducation. L’Association des écrivains nigériens (AEN) fut fondée en 1975 afin de structurer le milieu littéraire national. En 1988 fut instauré le Mois du Livre, à l’initiative conjointe du Centre culturel franco-nigérien, du ministère de la Culture et de l’AEN, devenant rapidement un rendez-vous majeur de la vie littéraire.

1990–2010 : langues nationales, livre jeunesse et centralisation du patrimoine

À partir des années 1990, le Niger entre dans une phase de consolidation institutionnelle et de diversification linguistique qui marque profondément le secteur du livre. L’année 1990 est notamment marquée par l’exposition « Littérature et jeunesse », organisée dans un contexte où l’on commence à reconnaître l’importance de la production destinée aux enfants comme vecteur d’alphabétisation et de transmission culturelle. Cette dynamique se confirme en 1992 avec la parution de Littérature du Niger aux Éditions du Ténéré, l’un des premiers ouvrages de référence à proposer une vision structurée de la création littéraire nationale et à mettre en valeur ses évolutions depuis l’époque coloniale.

La décennie voit également un tournant majeur : l’adoption en 1998 d’une loi visant à « garantir à tous les jeunes l’accès équitable à l’éducation ». Ce texte renforce la place des langues nationales dans l’enseignement et entraîne une augmentation notable de la demande d’ouvrages dans les principales langues du pays. Grâce aux programmes éducatifs et aux efforts conjoints de plusieurs institutions – notamment le ministère de l’Éducation, l’Institut National de Documentation, de Recherche et d’Animation Pédagogique, ainsi que diverses ONG culturelles – une véritable production en langues nigériennes émerge.

Dans ce paysage en transformation, l’année 2000 voit la tentative de relance du milieu littéraire par la Société des Gens de Lettres du Niger, qui cherche à structurer davantage le secteur et à fédérer auteurs et acteurs du livre. Cependant, malgré une impulsion initiale importante, l’organisation se heurte rapidement à des difficultés internes, à un manque de mobilisation durable et finit par cesser ses activités quelques années plus tard.

Parallèlement, plus de quatre-vingts albums pour enfants et environ une centaine de romans, contes et recueils de devinettes sont publiés dans les principales langues nationales, un volume inédit dans l’histoire éditoriale du pays. Malgré une production encore modeste à l’échelle internationale, le Niger se distingue alors en Afrique de l’Ouest comme l’un des rares pays disposant d’un corpus substantiel d’ouvrages en langues nationales. Cette diversification s’accompagne d’un mouvement de centralisation et de valorisation des collections patrimoniales, renforcé par la création en 2009 de la Bibliothèque Nationale du Niger, qui devient le principal organe de conservation et de diffusion du patrimoine écrit national.

2010–2025 : diversification et nouveaux acteurs

L’année 2010 marque une étape importante avec la création du Bureau Nigérien du Droit d’Auteur (BNDA), chargé de la gestion des droits d’auteur et de la redistribution des redevances. Cette institution apporte un cadre légal plus structuré au secteur littéraire, longtemps fragilisé par l’absence de mécanismes de protection des œuvres et de rémunération des créateurs.

À partir de 2022, le Niger intensifie son ouverture régionale et internationale avec la création du Marché du Livre et des Arts du Niger (MALAN), premier événement annuel d’envergure dédié à favoriser les rencontres professionnelles entre auteurs, artistes, maisons d’édition locales et éditeurs étrangers. Cette plateforme contribue à la visibilité des productions nigériennes et stimule les échanges autour des langues nationales, de la littérature jeunesse et des industries culturelles émergentes.

En 2023, un partenariat public-privé est mis en place pour renforcer la production de manuels scolaires, avec un objectif clair : parvenir à « un livre par élève ». Ce programme vise à professionnaliser davantage la chaîne éditoriale éducative, tout en soutenant les éditeurs locaux dans la montée en qualité et en volume.

Aujourd’hui, on compte six maisons d’édition actives totalisant environ 140 titres publiés dans des domaines variés : littérature générale, éducation et recherche scientifique.

L’année 2025 voit la naissance de la Fédération des Écrivains du Niger (FEN), créée en avril par l’auteur Boubé Hama et l’écrivaine Fatima Diawara. Cette organisation ambitionne de fédérer les écrivains autour d’actions professionnelles, de défendre leurs intérêts et de renforcer la place de la littérature nigérienne sur la scène régionale et internationale.

Parallèlement, le pays renforce ses infrastructures culturelles grâce aux Centres de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC) et au réseau national des bibliothèques, qui soutiennent la lecture publique, notamment chez les jeunes. Ces dispositifs accompagnent l’émergence d’une production éditoriale plus diversifiée.

Si la littérature francophone reste majoritaire (95 %), le haoussa et le zarma gagnent en importance, et la présence des femmes auteurs augmente. Des écrivains contemporains tels que Fatouma Alassane, Moussa Mahamadou et Oumarou Kadry Koda enrichissent la scène littéraire par la diversité des genres et l’innovation narrative.

Traductions et ouverture internationale de la littérature nigérienne

Boubou Hama reste l’auteur le plus traduit, avec des ouvrages en anglais, gaélique irlandais, italien et polonais, et des contes pour enfants en arabe et bambara. La majorité des œuvres nigériennes demeurent toutefois peu traduites. Les traductions les plus significatives concernent la poésie touarègue, notamment Hawad, dont l’œuvre existe en allemand, anglais, espagnol et italien, parfois bilingue tamasheq–français. D’autres auteurs bénéficient d’une visibilité accrue : Abdoulaye Mamani (Sarraounia), Idé Oumarou (Le Reprouvé) et Hassane Djibo. La création du la création du Marché du Livre et des Arts du Niger en 2022 ouvre des perspectives pour la diffusion internationale, mais un programme de traduction structuré reste nécessaire pour valoriser pleinement la littérature nigérienne à l’échelle mondiale.

Un paysage littéraire en pleine effervescence 

Le secteur éditorial nigérien connaît aujourd’hui une dynamique renouvelée, portée par des initiatives favorisant de nouvelles pratiques de création et de diffusion. L’essor d’organismes comme la FEN illustre une scène littéraire en plein renouvellement, renforçant la visibilité et la diversité des voix nigériennes dans un pays qui cultive le livre et l’imprimé depuis longtemps, au cœur de son histoire politique, culturelle et économique.


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